Les tiers-lieux, des labos venus du monde d'après ? (1/2)
Volet 1: Que sont les tiers-lieux au juste ? À quels enjeux répondent ils ?
Il semble y avoir consensus : il n’y a pas de consensus sur la définition de tiers-lieu ! Pourtant, les projets se reconnaissant sous ce vocable se multiplient, et nombre d’entre eux affichent des ambitions de renforcement de la résilience des territoires dans lesquels ils s’inscrivent. Nous proposons d’explorer dans cette analyse en quoi et comment les tiers-lieux peuvent constituer des laboratoires pour la construction du monde de demain. A partir de l’éclairage de ce phénomène protéiforme, nous identifions les caractéristiques qui constituent des leviers pour répondre aux nombreux enjeux auxquels nous, les vivants, faisons face. Des curseurs d’engagement, élaborés par Trois-Tiers à partir du terrain, sont également proposés afin de situer et faire évoluer ces projets comme vecteurs de résilience.
Une seconde analyse (document distinct) s’attachera à explorer la dimension d’expérimentation au coeur de ces projets, avec une illustration au travers de témoignages de plusieurs tiers-lieux situés en Wallonie.
Le RCR² porte la conviction que c’est par la multiplication d’expérimentations alternatives collectives (citoyennes en particulier) et par leur pouvoir d’inspiration, qu’émergeront de nouvelles propositions qui nous permettront de cheminer vers un changement de culture et une plus grande résilience collective.
Au cours des dernières années, des espaces et projets collectifs se reconnaissant sous le vocable de « tiers-lieux » semblent se multiplier, appelant à s’y pencher de plus près et à se questionner sur leur potentielle contribution à l’invention de modes de vie respectueux des êtres vivants.
Le terme de « tiers-lieux » est en effet de plus en plus présent dans le paysage francophone belge, en témoigne le récent appel à projets lancé en 2022 par la Ministre wallonne de l’environnement Céline Tellier et le financement subséquent de 23 projets en zones rurales, mais également l’émergence d’une plateforme dédiée à les soutenir: l’ASBL Trois-Tiers (voir ci-dessous).
Malgré la grande difficulté d’établir une définition univoque du terme « tiers-lieu », en raison -nous le verrons- de la grande diversité de ces projets, une volonté semble partagée entre de nombreux porteurs des tiers-lieux émergents en Wallonie : la volonté de renforcer la résilience de nos territoires, en inventant de nouvelles manières de fonctionner ensemble, d’échanger, d’être au monde ou encore de prendre soin des vivants. Ceci avait été mis en lumière lors d’une journée d’échange en décembre 2022 entre porteurs de projets se reconnaissant sous ce vocable de tiers-lieux1. Le terme de « laboratoire » avait par ailleurs été plusieurs fois utilisé au cours de cette journée, en lien avec la volonté des projets de répondre à des besoins insatisfaits, de proposer des services inexistants ou disparus, de déverrouiller l’imagination sur les futurs possibles, … (avec comme revers de la médaille le fait de sortir des cases -administratives notamment- ce qui engendre de nombreuses difficultés, nous y reviendrons).
Il nous a dès lors semblé important d’analyser de plus près en quoi et comment ces projets pouvaient constituer des laboratoires pour la construction du monde de demain. Pour ce faire, nous avons sollicité l’expertise de l’ASBL Trois-Tiers qui a co-écrit cette analyse.
Cette ASBL a pour missions (i) d’organiser des formations pour sensibiliser et faire monter les collectifs/équipes en compétences, (ii) de générer la rencontre entre porteur.se.s de projets et accompagnateur.rice.s profesionnel.le.s au sein d’une communauté apprenante, et (iii) de travailler sur un plaidoyer pour une reconnaissance et un soutien des tiers-lieux par l’ensemble des parties prenantes de leurs écosystèmes (administrations et institutions, acteurs du système alimentaire/culturel/immobilier, citoyen.ne.s…).
Il semble y avoir consensus : il n’y a pas de consensus sur la définition d’un tiers-lieu !
C’est l’une des conclusions de la journée consacrée au tiers-lieux ruraux wallons en décembre 2022 (voir plus haut), mais aussi de plusieurs chercheurs qui se sont penchés sur ces dynamiques. Tentons malgré tout d’éclairer ce concept, d’abord en remontant à son origine, puis en se basant sur quelques apports contemporains de deux chercheurs français.
À l’origine du concept
Ce concept trouve sa source dans l’ouvrage « The great good place » publié fin des années 1980 par le sociologue urbain américain Ray Oldenburg, qui utilise la notion de « third place » pour désigner les espaces à l‘interface entre les lieux du foyer (premier lieu) et ceux liés au travail (second lieu). Ces lieux intermédiaires, ou « troisièmes lieux », comme les cafés ou bureaux de poste, permettent aux individus de se rencontrer de façon informelle et favorisent les interactions, les échanges, l’entraide, le débat… et constituent pour Oldenburg des lieux essentiels à la démocratie et l’engagement civique.
Des racines multiples
Au-delà de cette origine “officielle” qui leur a donné le nom, on considère2 que les tiers-lieux d’aujourd’hui partagent leurs racines avec plusieurs mouvements historiques très divers tels que la philosophie hacker et libriste, les communs, les mouvements mutualistes et d’éducation populaire, l’économie sociale et solidaire, les utopies libertaires, les squats et les friches culturelles, l’architecture collaborative et l’urbanisme transitoire, la culture start up des années 90, les écovillages, le mouvement permacole,... Les tiers-lieux actuels en ont hérité certains codes culturels, des outils et des modes de fonctionnement à l'œuvre dans la plupart des projets. Les marqueurs de ces origines multiples s’exprimant de manière plus ou moins forte selon l’orientation du projet et la “culture” de ses porteur.euses.
Aujourd’hui, un phénomène protéiforme, flou, agile, …
La notion de tiers-lieu recouvre donc une réalité bien plus diverse aujourd’hui que la notion définie par Oldenburg. Les espaces et projets se reconnaissant sous le vocable de tiers-lieu sont nombreux et varient selon leur finalité, leur localisation (ville/campagne), leur taille, leur temporalité, leur mode de gouvernance, …
Le chercheur français Raphaël Besson3 qui s’est intéressé aux tiers-lieux urbains nous indique qu’il faut d’emblée accepter une forme de flou autour de cette notion, car celle-ci se développe de manière empirique et recouvre des réalités multiples. Ce flou est notamment lié à la configuration du tiers-lieu qui échappe au cloisonnement habituel des affectations conventionnelles des espaces, à la cohabitation des usages et à la multifonctionnalité.
L’agilité du concept offre l’avantage de permettre des définitions “situées”, émergentes du terrain, et sonne assez juste et légitime pour les porteurs et usagers qui le pratiquent au quotidien sur leurs territoires (mais comporte cependant plusieurs risques4).
Cette agilité explique aussi la croissance de l’usage de ce terme et du nombre de projets se reconnaissant sous ce vocable, menant certains à parler d’un « phénomène des tiers-lieux ». C’est d’ailleurs ce constat qui avait mené le sociologue Antoine Burret à faire des tiers-lieux français un objet de thèse, dans laquelle il citait : « son usage se répand, tout comme ce qu’il paraît nommer. A priori cette relativement large appropriation peut être comprise comme l’écho d’une nécessité. La nécessité de nommer quelque chose dont la présence se fait sensiblement ressentir5 ».
Eléments de définition et de caractérisation
Ainsi, la définition même du concept est en évolution constante, et peut varier selon son auteur. Nous faisons le choix ici de rapporter plusieurs définitions qui se complètent.
Selon le chercheur français Raphaël Besson6, il s’agit d’un « espace hybride qui facilite la rencontre entre des acteurs hétérogènes ».
Antoire Burret, quant à lui, ne définit par les tiers-lieux comme des espaces physiques mais plutôt comme une configuration sociale, dans la définition qu’il donne au terme de sa thèse portant sur une étude de terrain : « configuration sociale particulière où se produit une rencontre entre des entités individuées qui s’engagent intentionnellement à la conception d’une représentation commune, c’est-à-dire à responsabilité partagée ».
L’ASBL belge Trois-Tiers pose qu’il s’agit de lieux fondés sur la diversité et la cohabitation des usages, la multifonctionnalité et le rassemblement et l’activation d’une communauté. Et apporte sa définition plus complète, inspirée notamment de celle du Cerema7 :
Au-delà de ces définitions qui se veulent englobantes, il existe plusieurs tentatives de développer des typologies de tiers-lieux sur base de certaines de leurs caractéristiques.
À titre d’exemple, Raphaël Besson propose de distinguer les tiers-lieux sur base de leurs finalités8 :
les tiers-lieux d’activités (espaces de travail partagés, communauté d’échange et de collaboration, …)
les tiers-lieux culturels (les bibliothèques troisième lieu, friches culturelles, living labs, fablabs ou learning labs déployés au sein d’universités …)
les tiers-lieux sociaux (projets avec objectifs de participation citoyenne, d’entrepreneuriat social ou de transitions démocratiques. Ils sont fortement structurés autour des acteurs de l’économie collaborative, de l’économie numérique et de l’économie sociale et solidaire (ESS)
les tiers-lieux de service et d’innovation publique (conciergeries solidaires, commerces multiservices, laboratoires d’innovation publique, …).
Prenant pour acquis que les tiers-lieux comportent par définition une multiplicité de finalités et de fonctions, Trois-Tiers propose, non pas des catégories figées de tiers-lieux, mais cinq facteurs de variabilité, en rappelant que toutes les combinaisons sont possibles, rendant le nombre de “types de tiers-lieux” potentiellement très grand:
L’initiateur.ice. et le portage Qui est à l’initiative du projet? S’agit-il d'une initiative individuelle ou collective? (et si collective : citoyenne, associative, institutionnelle, hybride) ?
Les racines. Quelles sont les racines du projet? Académique, socio-culturel et artistique, entrepreneurial, nourricier, agricole, social, éducation, santé, démocratie, écologie et résilience?
L’implantation. Sur quel territoire s’implante le tiers-lieu ? Urbain, Péri-urbain, Rural, Virtuel?
La temporalité. Quelle est la temporalité associée au projet ? Temporaire, Transitoire, Permanent?
Et rappelle qu’au-delà de ces facteurs de variabilité, les formules n’ont pas de limite, si ce n’est les rêves partagés entre porteurs et porteuses de ces initiatives.
Les tiers-lieux en Wallonie
En Wallonie, les tiers-lieux émergent aujourd’hui dans un contexte de multiples crises que la région traverse à l’instar de la planète (environnement, finances, santé, économie, social, énergie, culture…). “Mûs par des enjeux divers, citoyens et associations se mobilisent et se regroupent dans des espaces qui sont la fabrique et le théâtre de nouvelles manières de faire société. Valorisation du patrimoine et des richesses environnementales, sécurité alimentaire, mobilité, relocalisation du travail, habitat, cohésion sociale ou encore réponse à des problématiques locales telles que pénurie de certains services ou absence d’espaces de coworking… Suivant les axes qu'ils développent, les tiers-lieux abritent les ferments de “solutions locales pour un désordre global” selon la formule chère à Coline Serreau11”.
C’est ainsi que l’on a vu émerger un ancien théâtre qui devient aussi coopérative citoyenne et cantine/bar public, une ferme qui se collectivise et développe une programmation socio-culturelle, un hameau qui se redynamise avec des espaces d’ateliers et un campus/centre d’hébergement, un couvent tenu par des sœurs de moins en moins nombreuses qui cohabitent avec un collectif laïc d’une vingtaine de personne et visent à transmettre leurs savoir-faire artisanaux, un site de mémoire avec cimetière et anciens fours à chaux qui devient un lieu de transmission et d’arts, une maison médicale entourée de maraîchers, quelques habitations et un lieu commun ouvert au grand public…
Des espaces collectifs de proximité pour une transition systémique
S’ils ne doivent pas être considérés comme des solutions parfaites “tout-en un” au risque de charger la barque et de créer un transfert de responsabilités publiques à leurs dépends, les tiers-lieux, de par la spécificité de leur culture et/ou de leur mode de fonctionnement, peuvent contribuer à répondre à de nombreux enjeux actuels et futurs, notamment liés aux défis de transition systémique de nos territoires.
Dans une intervention lors du forum Tiers-Lieux pour l’Europe (Montpellier, 202312), l’économiste belge Sybille Mertens (ULiège) résumait la difficulté de se mettre en action collectivement pour faire face aux crises qui secouent notre quotidien:
Les défis auxquels nos civilisations sont confrontées aujourd’hui (bouleversement climatiques, perte de la biodiversité, exclusion sociale, crises migratoires…) appellent des actions collectives. Elles sont nécessaires mais pas évidentes: après des décennies de développement des logiques de marché et des solutions individualisantes qui y sont liées, chacun.e d’entre nous se dit que ces problèmes nous dépassent et que la solution viendra d’ailleurs. Les institutions publiques, outillées pour faire face à ces défis, sont confrontées à des problèmes systémiques qui dépassent souvent leurs périmètres d’action. Dans une société qui se dualise et se fragmente, elles ont par ailleurs de plus en plus de difficultés à faire consensus et mettre en place de véritables solutions collectives.
Face à ces enjeux, Sybille Mertens place les tiers-lieux dans la lignée de la gouvernance des communs telle que défendue par Elinor Oström: les tiers-lieux sont des espaces collectifs de proximité organisés selon des modalités démocratiques, qui permettent d’activer une communauté locale à même de mobiliser des ressources du territoire. Et ce, avec un capital de confiance et un pouvoir d’agir à l’échelle du bassin de vie. Ces lieux sont en outre des espaces d’apprentissage, d’émancipation, de créativité et de capitalisation collective où se développent des innovations sociales et techniques, mannes de solutions potentiellement adéquates pour les crises à venir. Ce sont donc des lieux d’accueil de “niches” dans une pluralité de secteurs, ils permettent l’expérimentation tous azimuts (et surtout la mise en lien des expérimentations) qui se développent en marge des systèmes dominants à bout de souffle.
Enfin, les tiers-lieux peuvent accepter une dimension du temps long, loin de l’urgence du marché et du court-termisme électoral. Ils peuvent alors être des catalyseurs d’une action collective pérenne et cohérente localement et régionalement. Selon les services et les fonctions qu’il développe et les spécificités du territoire où il s’implante, un tiers-lieu peut en effet activer et tester des réponses à des enjeux divers et complémentaires:
Des enjeux économiques : nouveaux modes de travail, développement de l’entrepreneuriat, relocalisation de production et de services, innovation, mutualisation et réseaux…
Des enjeux sociaux: création de nouveaux espaces de convivialité non-marchands, rupture de l’isolement, mixité, décloisonnement et activation de la cohésion sociale, réduction de la fracture numérique, accompagnement à l’émancipation…
Des enjeux environnementaux: promotion et activation de circuits courts, sensibilisation aux enjeux écologiques, expérimentation, développement de solutions et mise en action…
Des enjeux culturels: création et diffusion de récits mobilisateurs révélant des futurs souhaitables, impact sur les perceptions sociales, activation des droits culturels, nouveaux modes d’apprentissage pairs-à-pairs, conservation et/ou revalorisation du patrimoine, création et diffusion de communs de la connaissance favorisant l’accès aux savoirs…
Des enjeux politiques: renforcement de la cohésion et du développement des territoires, revitalisation urbaine ou rurale, résilience régionale, participation citoyenne et gouvernance multi-partites…
…
En ce sens, ils sont des espaces alliés qui contribuent à la transition systémique de notre société.
Catalyseurs de collaboration et d’hybridation
En raison de leur accessibilité et leur capacité à rassembler des individus de différents horizons, les tiers-lieux peuvent servir de catalyseurs pour la collaboration, l’expérimentation et le partage de connaissances.
En accueillant une multiplicité de fonctions et d’activités (agricoles, nourricières, culturelles, entrepreneuriales, artisanales, inclusion, citoyennes, santé, éducation, … Les possibilités semblent infinies), ils encouragent l’hybridation et la cross-pollinisation des idées, favorisant ainsi l'émergence de solutions innovantes aux problématiques sociales et environnementales. À l’instar des écosystèmes naturels, plus un système est diversifié, plus il est résilient car une fonction peut être remplie par plusieurs ingrédients et un ingrédient peut avoir plusieurs fonctions. L’Arbre qui Pousse à Ottignies combine par exemple en un lieu et un écosystème commun: école, crèche, habitat groupé et habitat d’urgence, centre de formation, locations saisonnières, maraîchage, pépinière, vignoble et petit élevage, boulangerie, événementiel, restaurant et atelier vélo… avec l’ambition d’expérimenter un système complet au service de la transition écologique et notamment de la résilience alimentaire de la communauté.
Incubateurs pour initiatives locales
Les tiers-lieux agissent comme des incubateurs pour les initiatives locales, leur permettant de mettre en test leurs idées dans un cadre sécurisé avec le soutien d’une communauté de pairs, leur offrant un terrain d'expérimentation pour des pratiques durables et des modèles économiques alternatifs, tels que l'économie circulaire ou les monnaies locales. Certains lieux, comme la Maison Folie à Mons, poussent le curseur jusqu’à proposer des services d’activation et d’accompagnement au développement et au montage de projets citoyens et associatifs issus de leur territoire d’implantation.
Lieux - repères de rassemblement et de mobilisation
En cette ère des méta-crises, les tiers-lieux, parce qu’il sont appropriés par une communauté locale active, pluridisciplinaire et aguerrie aux logiques d’expérimentation, peuvent également constituer des espaces-ressources et des lieux de rassemblement qui permettent aux habitants de se mobiliser rapidement, et contribuent donc ainsi à la résilience des territoires. La crise du covid-19 fut à cet égard une démonstration grandeur nature de la réactivité et de la capacité d’innovation de nombreux tiers-lieux notamment français pour répondre aux urgences de leur territoire. Comme le montre La Compagnie des Tiers-lieux dans une websérie13 dédiée aux aventures de confinement, alors que bon nombre de secteurs étaient à l’arrêt, de nombreux tiers-lieux du Nord ont su mobiliser les savoir-faire de leur communauté pour coudre des masques, imaginer des adaptateurs pour respirateurs ou des visières pour le personnel de soin, les prototyper en fablab et les envoyer en production dans une entreprise locale, organiser la distribution de colis repas ou encore le soutien numérique pour le télétravail…
Création d’écosystèmes locaux interconnectés
Pro-actifs dans leur ancrage local, les tiers-lieux facilitent la création d’écosystèmes interconnectés, tissant des liens étroits avec les habitant.es et acteur.ices du territoire ainsi qu'avec un réseau plus large de pairs au niveau régional, national voire international. Cette interconnexion tisse un réseau de solidarités et d’actions communes sur le territoire, favorise le partage des savoirs et des bonnes pratiques, accélérant la diffusion d’innovations sociales et environnementales. Le Monty à Genappe navigue par exemple au coeur d’un réseau associatif, culturel, social et citoyen dense au sein de sa commune, le plaçant comme activateur de nombreux partenariats (restaurant social, école alternative, centre d’aide pour réfugiés, associations de quartier, administrations communales et provinciales, artistes, entreprises sociales et solidaires…) qui ont des impacts positifs bien au-delà des murs du tiers-lieu. Il fait par ailleurs partie des tiers-lieux de la vallée de la Dyle (avec notamment le Quatre-Quart, l’Arbre qui Pousse, Agricoeur…) qui se réunissent régulièrement pour imaginer leurs complémentarités et actions communes.
Dans le contexte actuel, quels sont les besoins de nos territoires? Et quels lieux peuvent prétendre y répondre, du moins en partie ? Trois-Tiers souhaite soutenir l’émergence d’initiatives audacieuses qui approchent et tentent de répondre à certaines vulnérabilités à 360°, couvrant des sphères économique, sociale, politique, culturelle et environnementale. Il s’agit de changer les postures, transformer les cultures et les perceptions en osant la mixité, la participation et la coopération à toutes les échelles. Trois-Tiers plaide pour une ouverture des esprits et un échange d'idées, pour encourager l'expérimentation et l'innovation. L'agilité et la solidarité deviennent essentielles, tout comme le droit de chacun.e d’y trouver sa juste place. Et notre démarche doit par ailleurs être nécessairement en harmonie avec le vivant.
Naviguant dans le « clair-flou de l’indéfinition » des tiers-lieux, Trois-Tiers tente ici une proposition de balises pour mieux soutenir le développement de tiers-lieux engagés et robustes en Wallonie. Ces balises ne visent pas à dresser un inventaire de ce qui constitue ou non un tiers-lieu, ni à en mesurer le degré d'appartenance. Il s’agit plutôt de curseurs d’engagement qui poussent à conscientiser nos pratiques collectives, à s’inscrire de façon durable et viable dans le paysage territorial, en minimisant l’empreinte et en maximisant le rayonnement et l’impact, à interroger notre capacité à faire advenir un autre modèle de société.
Des curseurs d’engagement
La liste suivante n’est évidemment pas exhaustive, c’est un travail évolutif qui appelle à contribution. Ces questions-balises ont été inspirées des données empiriques récoltées par Trois-Tiers et son équipe, active au sein des tiers-lieux depuis une quinzaine d’années, croisées avec des notions de constructions communalisées (mutualisation, bio-inspiration, circularité).
Ancrage territorial:
À quels besoins du territoire le tiers-lieu répond-t-il? (Analyse du contexte et des besoins et proposition de services ad hoc)
Quel est le degré d’ouverture et de perméabilité aux habitant.es du territoire? (Accessibilité des espaces et porosité: degré de participation à la vie du lieu)
Dans quel écosystème partenarial le tiers-lieu s’inscrit-il sur son territoire? (Nombre et qualité des parties prenantes)
Quel est le degré d’action et de proactivité du tiers-lieu pour des enjeux locaux en dehors de ses murs? (Initiatives décentralisées, soutien à des projets partenaires sur le territoire…)
Quelle analyse d’impact du tiers-lieu pour son territoire?
…
Gouvernance partagée et participative
Quel est le degré de participation à la gouvernance du projet ? (Information > consultation > implication > partenariat > délégation de pouvoir > autogestion)
Quels sont les processus qui facilitent l’inclusion des membres?
Quels sont ceux qui cadrent l’exclusion?
Comment le pouvoir et la responsabilité sont-ils répartis au sein du tiers-lieu? (Equipotentialité des membres et polycentrisme)
Quels sont les espaces et les processus de prise de décision? À qui sont-ils ouverts?
Les processus internes sont-ils co-créés et évolutifs?
Quels sont les dispositifs prévus pour prendre soin des dynamiques humaines au sein du lieu?
…
Communauté apprenante
Quelle place est laissée à l’expérimentation?
Y à-t-il un espace physique ou des temps dédiés au laboratoire? Comment se concrétise-t-il?
Quel est le droit à l’erreur?
Quelle pollinisation entre les différentes fonctions du tiers-lieu?
Y a-t-il des processus de feedback et de co-développement entre les membres?
Quels sont les dispositifs pour demander de l’aide ou des conseils?
Y a-t-il des espaces pour des contributions spontanées?
Pour visibiliser les compétences et les ressources de l’écosystème?
Y a-t-il des chantiers collaboratifs? Participatifs?
…
Eco-responsabilité et vecteur de résilience environnementale
Quelle analyse d’impact?
Quelle contribution concrète à la régénération des écosystèmes naturels?
Quel est la place du vivant au sein du tiers-lieu?
Quelle mobilité le tiers-lieu encourage-t-il?
Quels matériaux, quels modes de construction utilisés?
Quelles énergies? Avec quelle conscience?
Quelles autres ressources? D’où viennent-elles? Sont-elles mutualisées?
Quels modes de consommation? d’approvisionnement?
Quelle circularité? Quelle gestion des “déchets”?
…
Hybridation et innovation au sein du modèle économique
Les sources de revenus sont-elles plurielles et diversifiées?
Y a-t-il utilisation/création d’une monnaie complémentaire?
D’autres systèmes d’échanges non-monétaires?
Ou de nouveaux outils économiques?
Quelle contribution à une économie régénératrice?
Quelle analyse et prise en compte des externalités négatives/positives des activités?
Quelle création de valeurs?
…
Contribution aux communs de la connaissance:
Le tiers-lieu propose-t-il une bibliothèque de ressources partagées ?
La communauté documente-t-elle les processus et les innovations du projet?
Rend-t-elle l’information et des outils créés accessibles et partagés en open source?
Contribue-t-elle sur les plateformes communes aux tiers-lieux? (ex: Movilab…)
…
Curseurs de robustesse
Quelle est la complémentarité entre profils des usagers impliqués ?
Les besoins humains fondamentaux sont-ils satisfaits?
Quels sont les services écosystémiques en place?
Quel est le degré d’optimisation et de flexibilité des processus? Y a-t-il des boucles rétroactives?
…
D’autres idées? Des réflexions, des commentaires? N’hésitez pas à rejoindre Trois-Tiers dans la réflexion!
La notion de tiers-lieu recouvre une réalité protéiforme, difficile à appréhender. Nous retenons ici la notion d’espace hybride, regroupant plusieurs fonctions/activités avec une dimension de co-gestion par une communauté mixte d’usagers.
Les tiers-lieux peuvent être catégorisés selon leurs principales finalités, mais aussi en fonction d’autres facteurs de variabilité: initiateur.ice, racines du projet, implantation, temporalité. En tenant compte de tous ces facteurs, le nombre de combinaisons possibles, et donc de “types” de tiers-lieux est potentiellement très grand.
En Wallonie, où cette diversité est bien présente, les tiers-lieux émergent dans un contexte de multiples crises que la région traverse, à l’instar de la planète. En tant qu’espaces collectifs de proximité, organisés selon des modalités démocratiques, nous posons que les tiers-lieux peuvent contribuer à répondre à de nombreux enjeux actuels et futurs, notamment liés aux défis de transition systémique de nos territoires. Ils sont en effet en mesure d’activer une communauté locale à même de mobiliser des ressources du territoire. Ce sont en outre des espaces d’apprentissage, d’émancipation, de créativité et de capitalisation collective permettant le développement d’innovations, en marge des systèmes dominants à bout de souffle. La diffusion de ces innovations peut être par ailleurs favorisée par la proactivité des tiers-lieux en termes de développement de maillage d’acteurs du territoire.
Ceci étant posé, Trois-Tiers propose dans cette analyse une série de curseurs d’engagement, sous forme de questions, issus de données empiriques et conçus comme un travail évolutif amené à être enrichi grâce à de futures contributions. Ces curseurs appellent à une auto-évaluation par les tiers-lieux sur le plan de leur engagement en termes de pratiques collectives, d’inscription durable et viable dans le paysage territorial, de minimisation de l’empreinte et de maximisation du rayonnement et de l’impact. Il s’agit de proposer aux tiers-lieux de prendre du recul pour interroger leurs capacité à faire advenir un autre modèle de société.
Partant de cette meilleure compréhension de ce que sont les tiers-lieux et des enjeux auxquels ils contribuent à répondre, nous explorerons dans une seconde analyse une caractéristique essentielle de ces projets inclassables : l’expérimentation.
Cette analyse est disponible gratuitement sur le site internet www.asblrcr.be.
Le RCR², Réseau de Collectifs en Recherche de Résilience est une association promouvant la restauration des conditions d'habitabilité de la planète par l'invention, l'expérimentation et la diffusion de modes de vie écologiquement résilients, inclusifs et solidaires. Les outils, analyses et études du RCR² sont des moyens de délibérer et d'élaborer sur ces enjeux en portant des regards critiques aussi bien sur nos modes de vie actuels que sur ce qui se présente comme ses alternatives. Leur visée est d'approfondir la compréhension de ces enjreux pour stimuler l'élaboration des réponses inclusives, collectives, écologiques, solidaires, lucides et inspirantes. Ces documents sont le résultat d’entretiens, d’échanges entre collectifs ou groupes de citoyen.ne.s s’étant prêtés à nos outils d’animation ainsi que des recherches menées en groupe de travail composé.e.s de volontaires et de différents partenaires associatifs. Toute diffusion et reproduction est autorisée et encouragée sous réserve de citer la source. N'hésitez pas à nous partager vos propres contributions ainsi que d'éventuelles questions, commentaires ou propositions. A votre disposition pour aborder, au sein de votre collectif, les thématiques traitées.
Pour nous contacter : info@asblrcr.be
Pour joindre Trois-Tiers : hello@troistiers.space
Publié en 2023
Journée co-organisée par le MONTY et l’ASBL Trois-Tiers, voir https://www.troistiers.space/colloque-tierslieux
Voir notamment https://www.prima-terra.fr/2019/10/tiers-lieux-de-lobjet-emergences-lobjet.html
Raphaël Besson 2017. Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines. https://journals.openedition.org/tem/4184
Le flou qui entoure le concept s’accompagne de plusieurs risques : (1) Le risque de dérive pour des acteurs qui voudraient récupérer ou instrumentaliser le concept à des fins intéressées (une entreprise qui installe un coworking au rez-de-chaussée, par exemple). (2) Un risque de fourre-tout qui dilue l’intention des lieux et leurs membranes organisationnelles. C’est davantage l’intention sous-jacente, les relations interpersonnelles et les processus qui permettent l’émergence de tels lieux. Lorsque certain.e.s tentent de détourner ces dynamiques pour des intérêts privés, c’est en général assez visible et les usager.e.s se désolidarisent.
Antoine Burret. Etude de la configuration en Tiers-Lieu : la repolitisation par le service. Sociologie. Université de Lyon, 2017. Français.
Raphaël Besson 2017. Rôle et limites des tiers-lieux dans la fabrique des villes contemporaines. https://journals.openedition.org/tem/4184
Dans son étude “Dynamique des Tiers Lieux en Europe” publiée en 2023 http://www.cerema.fr/system/files/documents/2023/06/rapportetude_anct_v9-vf_modif.pdf
https://www.horizonspublics.fr/les-tiers-lieux-insaisissables
Contraction de fabrication laboratory en anglais, soit « laboratoire de fabrication ». Synonyme = makerspace (Wikipedia, voir Makerspace: “ atelier de fabrication numérique, évolution du hackerspace, ouvert au public. Il met à disposition des machines-outils et machines-outils à commande numérique habituellement réservées à des professionnels dans un but de prototypage rapide ou de production à petite échelle).
En français “laboratoire vivant”. Selon Wikipédia: “Un Living Lab regroupe des acteurs publics, privés, des entreprises, des associations, des acteurs individuels, dans l’objectif de tester « grandeur nature » des services, des outils ou des usages nouveaux”.
Source: “Tiers-lieux en ruralité, espaces citoyens partagés.
https://compagnie.tiers-lieux.org/a-lecoute-des-tiers-lieux-episode-1-le-souffle-du-nord/
https://compagnie.tiers-lieux.org/a-lecoute-des-tiers-lieux-episode-1-le-souffle-du-nord/